Je viens de terminer un livre sur La Bruyère[1]. Le propos de l’auteur, M. Delacomptée, est de montrer que le regard de La Bruyère sur lescaractères de ses contemporains est toujours actuel. Bien sûr, le contexte a changé, mais cela ne modifie guère la réalité. Les traits et les comportements que La Bruyère attribuait aux humains de son temps, sont aussi ceux que nous observons au 21ème siècle.
Là-dessus, j’ai repris ma vieille édition des Classiques Larousse datant du lycée. « Je sème à tout vent » dit la belle jeune fille, cheveux au vent, soufflant sur les aigrettes d’un pissenlit. Pages jaunies, un peu de nostalgie.
Je n’arrive pas à me souvenir de l’effet que La Bruyère m’avait fait au lycée. Je ne me rappelle même pas de l’avoir étudié. Alors que me souviens comme si c’était hier d’avoir lu la Bête humaine de Zola pendant les cours, le livre posé sur les genoux, caché sous le pupitre. Les profs devaient s’en douter car le truc était sûrement archiconnu.
Un demi-siècle plus tard, la vieille édition Larousse me ramène à l’auteur des Caractères et, cette fois, je me délecte. Monsieur de La Bruyère était un fin connaisseur de ses semblables. Voici quelques perles :
De bien des gens il n’y a que le nom qui vale quelque chose : quand vous les voyez de fort près, c’est moins que rien ; de loin ils imposent.
Il y en a de tels que, s’ils pouvaient connaître leurs subalternes et se connaître eux-mêmes, ils auraient honte de primer.
Quelle horrible peine a un homme qui est sans prôneur et sans cabale, qui n’est engagé dans aucun corps, mais qui est seul, et qui n’a que beaucoup de mérite pour toute recommandation, de se faire jour à travers l’obscurité où il se trouve, et de venir au niveau d’un fat qui est en crédit !
Ne nous emportons point contre les hommes en voyant leur dureté, leur ingratitude, leur injustice, leur fierté, l’amour d’eux-mêmes et l’oubli des autres : ils sont ainsi faits, c’est leur nature, c’est ne pouvoir supporter que la pierre tombe ou que le feu s’élève.
Les hommes en un sens ne sont point légers, ou ne le sont que dans les petites choses : ils changent leurs habits, leur langage, les dehors, les bienséances ; ils changent de goût quelquefois ; ils gardent leurs mœurs toujours mauvaises, fermes et constants dans le mal, ou dans l’indifférence pour la vertu.
Un sot est celui qui n’a pas même ce qu’il faut d’esprit pour être fat.
Un fat est celui que les sots croient un homme de mérite.
Le stupide est un sot qui ne parle point, en cela plus supportable que le sot qui parle.
Alors, que nous enseigne La Bruyère en gros 330 ans après avoir publié ses Caractères ? Tout simplement que la nature humaine n’a pas changé. Les êtres humains, à titre individuel, peuvent changer – la vie s’en charge souvent, parfois douloureusement – mais la nature humaine, elle reste la même. Que peut-on en déduire ? La constatation que nous n’apprenons jamais de nos erreurs et que nous les répétons avec une obstination admirable. Donc, finalement, à quoi bon persister à les commettre ?
Yvana Enzler/Berne, le 10 juillet 2020
[1] Jean-Michel Delacomptée, « La Bruyère, portrait de nous-mêmes », Paris, Robert Laffont, 2019, 209 pages.